Bye bye, le bureau! Bonjour, l'Habitoor!

L'année dernière, l'obligation de télétravail a bouleversé nos habitudes et incité de nombreux employeurs à réfléchir à de nouveaux modes de travail. L'architecte d'intérieur Casper Schwarz voit dans cette crise un tournant qui pourrait changer à jamais le paysage des bureaux tel que nous le connaissons. Il déclare que le bureau appartient au passé et introduit un nouveau concept réunissant l'habitat, notre environnement domestique, et le bureau: "l'Habitoor".

Le bureau est dépassé
Vous déclarez que le bureau fait partie du passé et vous présentez l'Habitoor. De quoi s'agit-il?
Casper Schwarz: "Nous savons que le bureau est un environnement dominé par l'aspect fonctionnel. Systèmes de plafond, dalles de moquette, goulottes, blocs-tiroirs, comptoirs d'accueil, photocopieuses et armoires de classement. Cependant, le travail à domicile et le travail nomade, que ce soit dans un café ou dans un train, deviennent de plus en plus courants. Cela nous fait prendre conscience qu'une nouvelle liberté de travail nous attend. La question est dès lors légitime: pourquoi faudrait-il encore aller au bureau? Quel sens cela a-t-il? Il est donc important de créer un lieu de travail accueillant en y transposant les espaces, l'atmosphère et les matériaux auxquels nous sommes habitués dans le cadre privé. C'est ainsi que nous arrivons à l'Habitoor. Il s'agit en fait d'une déformation du mot 'habitat' - votre environnement de vie - en une 'maison pour l'organisation' - un Habitoor."
Concrètement, à quoi ressemble un Habitoor? Quels critères doit-il respecter?
Schwarz: "Un Habitoor doit faciliter le travail des employés, quelle que soit la manière à laquelle ils veulent travailler. Il ne s'agit donc pas uniquement d'un lieu de rencontre. Se rencontrer dans un environnement agréable en fait certainement partie, mais il doit aussi y avoir des zones où l'on peut travailler à son bureau avec concentration, des zones où l'on peut rechercher le silence, des espaces dédiés au dialogue et aux présentations. Un Habitoor comprend aussi des espaces lounge, des îlots de cuisine, des salles de méditation et des installations de sport et de gaming. Puisqu'une partie de la maison devient un bureau, il faut aussi que le bureau devienne une partie de la maison. Qu'il s'inscrive dans le mode de vie et s'adapte au rythme et aux besoins des collaborateurs."


Le monde du bureau est-il prêt pour cela?
Schwarz: "Oui, certainement. Non seulement les jeunes entreprises créatives, mais aussi les organisations traditionnelles. La numérisation, les sacs de frappe et les tables de kicker entre les bureaux, la suppression des plafonds suspendus, sans oublier le Casual Friday tant apprécié - voilà autant de petits pas vers un abandon définitif du lieu de travail traditionnel."
le Covid-19 devient le point de bascule
Comment le concept est-il né? Le Covid-19 et le télétravail obligatoire vous ont-ils fait réfléchir? Ou pensiez-vous déjà à cela avant la pandémie ?
Schwarz: "Nous travaillions déjà sur ce concept avant le Covid-19 et nous avions déjà réalisé quelques projets allant à l'encontre du bureau classique. Des projets que nous pouvons désormais classer sous l'appellation Habitoor. C'est notre tâche en tant qu'architecte d'intérieur. En revanche, le Covid-19 a suscité une prise de conscience chez nous, au studio. Nous travaillions à la maison, ce qui n'est pas aisé lorsqu'on exerce un travail créatif. Lorsque nous avons été autorisés à revenir au bureau à l'été 2020, j'ai personnellement ressenti une légère réticence à retourner au studio. Pourtant, j'ai des collaborateurs formidables et il s'agit de mon entreprise - j'ai choisi moi-même son emplacement et son intérieur. C'est dire si j'ai un environnement familial agréable et si j'aime y passe du temps! (rires) Mais cela m'a fait réfléchir: si j'étais employé et si je n'avais pas choisi l'emplacement du bureau, aurais-je envie d'y retourner? Surtout qu'il a été prouvé que je peux très bien faire mon travail depuis chez moi."


Vos clients, c'est-à-dire les entreprises, caressent-elles aussi cette idée? Ressentent-elles le besoin de réfléchir au contenu de l'environnement de travail?
Schwarz: "Oui, et de leur côté, il y a deux facteurs importants qui entrent en jeu. La première est très simple, et concerne les finances. Un grand bureau, beaucoup de mètres carrés, ça coûte cher. De nombreuses entreprises ont découvert qu'il est possible de travailler avec moins de mètres carrés, en combinant le travail au bureau avec le travail à domicile. Le deuxième facteur, et pendant des années le plus gros obstacle, est la confiance dans les employés. Avec l'obligation du télétravail, les entreprises ont été obligées de faire confiance. Et cela aussi a bien réussi - le marché nous l'a confirmé. La confiance est là, nous sommes actuellement dans une très bonne phase de transition, où nous retournons au bureau. Le changement se fait de manière très naturelle. Et les entreprises procèdent déjà à des changements radicaux. J'en connais qui ont déjà fermé sept étages afin d'aménager leurs bureaux dans un espace plus réduit. C'est la phase de test parfaite pour voir combien d'espace de bureau est réellement nécessaire."
Nous revenons au bureau lentement mais sûrement, c'est la phase de test idéale
l'homme est un être social
Vous l'avez dit vous-même, beaucoup d'emplois peuvent être parfaitement effectués depuis la maison. Dans ce cas, un bureau où employeurs et employés se rencontrent est-il encore nécessaire?
Schwarz: "J'en suis convaincu à 100%. Le travail à domicile permanent n'est pas une bonne idée. L'homme est un être social et le lien avec les collègues est nécessaire, ainsi que la motivation de l'entreprise elle-même. Cela nous donne l'impression de faire partie de quelque chose. Si la quarantaine nous a appris une chose, c'est que nous ressentons tous, même les introvertis, le besoin d'appartenir à un groupe. Il s'agit d'une partie importante des processus de travail. Le partage des connaissances, le développement de la créativité, le brainstorming et la réflexion stratégique sont des choses que l'on ne fait pas tout seul. Donner et recevoir des compliments, célébrer les succès, faire face aux revers - ce sont des choses que l'on fait ensemble. L'Habitoor devient ainsi un lieu de cohésion."


Quels sont les effets positifs de l'Habitoor sur le bien-être des employés et des employeurs?
Schwarz: "Nous devons tenir compte du fait qu'il existe toutes sortes de personnes dans le monde, des introvertis aux extravertis, en passant par toutes les catégories intermédiaires. L'Habitoor doit être une amélioration pour tous. Il va falloir chercher un peu, mais c'est aussi ce qui rend le travail libre aussi agréable - c'est vous qui décidez où et quand vous travaillez en fonction de ce que vous aimez. Je pense que le développement personnel peut maintenant prendre une place beaucoup plus importante pour beaucoup de gens, simplement parce qu'ils peuvent être davantage eux-mêmes. Parce qu'il y a plus de confiance - la méfiance est une très mauvaise base pour le développement personnel. D'une manière générale, je pense, j'espère, que la conséquence est qu'il faudra moins de management. Et qu'il y aura plus de place pour l'individu et ses qualités. De cette façon, le bonheur deviendra une priorité. Si ça marche, nous aurons fait quelque chose de formidable (rires)".
Le télétravail permanent est impossible, le bureau reste nécessaire en tant que lieu de cohésion
Et en dehors de ça?
Schwarz : "Les villes dans leur ensemble seront également affectées positivement par l'Habitoor. L'horeca et le travail fusionneront davantage et la mobilité subira également une métamorphose. Dans un avenir proche, nous pourrions être en mesure de rendre les centres-villes sans voitures. Nous créerons ainsi un nouveau centre-ville, calme, propre et animé, avec plus de liberté, de paix, de verdure et d'espace de vie. La vie et le travail s'entremêleraient naturellement, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7."
En pratique
Le bureau traditionnel, que vous décrivez comme le lieu de travail facilitaire, existe depuis si longtemps maintenant. N'est-il pas difficile à briser? L'Habitoor deviendra-t-il un jour la norme?
Schwarz: "Tout d'abord, j'espère que l'Habitoor ne deviendra jamais la norme et qu'il sera toujours possible de regarder au-delà. D'un autre côté, je pense que nos schémas de pensée fixes sont notre plus grosse pierre d'achoppement. Nous sommes dans une phase de test. Des enquêtes et des mesures permettent de déterminer le rythme de travail et la routine quotidienne. Sur cette base, vous pouvez aménager l'Habitoor en fonction des besoins des employés, de manière étayée scientifiquement. Mais nous devons oser franchir ce pas. Si nous nous accrochons trop fermement à l'ancien modèle, il ne fonctionnera pas non plus."
Existe-t-il déjà de beaux exemples dans la pratique qui appliquent parfaitement ce concept?
Schwarz: "Les hubs dans les grandes villes où l'on peut travailler via des abonnements pour une certaine durée me semblent être un exemple parfait. Mais tout bureau dans lequel vous entrez et où vous avez l'impression que vous êtes bien, relève pour moi de la catégorie Habitoor. Nous avons également un certain nombre de projets en cours en ce moment. En 2020, nous avons réalisé un premier projet pour Red Bull Pays-Bas, où le concept est parfaitement appliqué."

Qui est Casper Schwarz ?
Casper Schwarz a obtenu son diplôme de l'Académie royale des beaux-arts de La Haye en 1992 et est parti peu après à Milan pour travailler comme architecte d'intérieur. Même à cette époque, son intérêt pour le bureau et l'environnement de travail était fortement présent. De retour aux Pays-Bas, il n'est pas surprenant qu'il ait commencé à travailler au sein du bureau de référence OTH Architects. Pour répondre à son propre besoin de travailler davantage en équipe avec le client, sans perte de qualité, il a décidé en 2006 de créer son propre studio d'architecture à Amsterdam, toujours spécialisé dans les bureaux: Casper Schwarz Architects. Avec une équipe petite mais efficace, il parvient à être très flexible vis-à-vis de ses clients. Et il y en a de toutes les formes et de toutes les tailles, des entreprises aux créatifs, des environnements de travail très grands aux très petits.